On emménage !

Si je n'étais pas vraiment contente d'être ici, il fallait dire que le doyen de Yale avait vraiment tout fait pour que je veuille y rester. En plus de m'offrir une bourse d'études complète dans une université que je connaissais à peine dans le programme que je voulais, il avait également payé la chambre où j'allais rester. Restait plus qu'il paie ma nourriture et mes dépenses personnelles, et je serais en séjour complètement fourni. Pourquoi ? Pour simplement ne pas divulguer une histoire qui aurait tôt fait de faire tomber une des facultés les plus reconnues du monde. Que ne fallait-il pas pour sauver sa réputation ? Je parlais bien sûr de celle du doyen, pas la mienne. Si j'avais publié cet article, j'aurais probablement été accueillie autrement, mais en l'espace de quelques jours, j'étais redevenue une étudiante normale, dans une université qui ne peut pas se comparer à l'Ivy League en aucun point.

J'étais dans la ville depuis environ une semaine, mais le temps de remplir les papiers, m'inscrire à l'université et avoir ma chambre à la résidence, j'étais restée dans un hôtel. C'était aujourd'hui que j'allais vraiment emménager. On m'avait dit que j'emménageais avec une colocataire, que j'étais impatiente de connaître. J'espérais seulement qu'elle allait m'accepter, parce que si ce n'était pas le cas, ça me donnerait probablement une raison de plus de menacer le doyen de ne pas me laisser ici. Même si je n'aurais pas dû, j'avais conservé cet article que j'avais écrit, et je serais toujours prête à le publier, et ça, il le savait. Qui pouvait vraiment se vanter de mener le doyen d'une grande université par le bout du nez ? Peu de gens je crois...

Peu importe, quand j'arrivai à la résidence, je me rendis à l'entrée pour connaître le numéro de ma chambre. J'appris que j'étais au dernier étage, où la vue semblait superbe. Beau travail monsieur le Doyen... Je pris la clé que la personne me tendit, la remerciai, et je me rendis vers l'ascenseur. Il était hors de question que je monte les escaliers jusqu'au dernier étage avec mes valises, surtout que j'en avais beaucoup, puisque j'avais prévu des affaires pour les prochains mois à venir. Une fois que j'arrivai à l'étage, je parcourus le couloir à la recherche du bon numéro de chambre. Une fois que ce fut fait, j'ouvris la porte, me demandant si ma colocataire allait être présente. Je me risquai de faire quelques pas, et je dis:

- Allô ?! Il y a quelqu'un !?

Évidemment, l’idée d’emménager avec quelqu’un était loin de me laisser indifférente. Ce n’était pas la première fois que cela m’arrivait, puisque j’avais eu un colocataire aussi quand je restais sur le campus universitaire de Yale. Par contre, j’avais l’impression que cette fois-ci, c’était différent. Emménager avec quelqu’un dans une grande université, cela faisait partie de mon rêve. Venir dans une petite ville où je connaissais personne, peu importe la taille de ma chambre sur le campus, ça faisait presque partie d’un cauchemar, quelque chose que je n’aurais jamais vu arriver. Avais-je vraiment le choix ? Pas vraiment, après tout. Tout ce que je pouvais espérer, c’était que la colocataire que j’allais avoir serait sympathique.

Avant d’entrer dans la chambre, tout ce que je savais, c’était qu’elle s’appelait Charlie. En fait, ça me donnait deux informations; son prénom, et le fait qu’elle soit une fille. Quand j’étais à Yale, on m’avait jumelée avec un garçon. L’idée ne m’avait pas totalement plu au départ, mais quand je me rendis compte qu’il était homosexuel, ça détendit énormément l’atmosphère. Non seulement, j’étais persuadée qu’il n’y aurait pas d’histoire, mais en plus, je ne pouvais pas être plus à l’aise; je n’avais pas quatre parents pour rien… Partir de Yale sans lui m’avait fait de la peine, il était devenu un peu comme mon frère, mon confident. Il était d’ailleurs le seul, excepté mes parents, qui était au courant de la raison de mon départ. Maintenant arrivée ici, j’ignorais si je devais garder mon secret encore très longtemps, où si je pourrais le divulguer, pour que certaines personnes se rendent compte de l’injustice à laquelle je faisais face.

Quand je tournais la clé dans la porte de l’appartement et je demandai s’il y avait quelqu’un, je sentis que c’était un peu comme un moment fatidique; j’allais rencontrer ma colocataire pour la première fois. Soit elle allait être sympathique, soit ce serait juste, correct, ou bien, elle allait m’envoyer promener. J’attendis un peu dans l’entrée de l’appartement pour voir une jeune femme qui avait environ mon âge s’approcher et me souhaiter la bienvenue en se présentant. C’était donc elle, ma nouvelle colocataire. Elle semblait sympathique, et si ce n’était pas le cas, l’appartement semblait assez grand pour qu’on puisse s’isoler chacune de notre côté. Je préférais ne pas me faire de mauvaises idées, d’autant plus que j’étais un peu mal placée pour cela; disons que je ne ressemblais pas vraiment à une fille qui sortait de Yale avec mon vieux jean et mon t-shirt gris avec des écritures noires. J’avais l’intention de défaire mes valises aujourd’hui, puisque j’en avais marre que toutes mes affaires s’y trouvent, donc j’avais décidé de m’habiller de façon confortable. Je souris, puisque Charlie semblait vraiment gentille, je dis :

- Ravie de te connaître ! Oui c’est moi Anya.

Puis, Charlie me souhaita la bienvenue dans la résidence dans laquelle je passerais le temps de mes études. Je souris de plus belle, et je dis :
- Merci ! Alors, quelle chambre est la mienne ?

Je ne voulais pas m’imposer, d’autant plus que Charlie était arrivée avant moi. J’allais prendre la chambre qu’elle allait me laisser. De toute façon, une chambre ou une autre, elles semblaient toutes assez spacieuses. Une fois que je me serais débarrassée de mes valises, je pourrais finalement faire le tour et m’habituer à mon nouvel appartement. Pour faire un peu plus connaissance avec Charlie, je dis :

- Ça fait longtemps que tu es ici ? Tu étudies quoi ?

Pour être honnête, le choix de la chambre n’était pas ce qui m’importait le plus. Je le faisais parce que je pourrais mettre mes valises dedans et finalement être tranquille avec tout cela, du moins, jusqu’au moment où j’allais décider de les défaire, ce qui ne devrait pas prendre de temps, parce que j’en avais marre de « vivre dans mes valises ». Durant une semaine, je n’avais pas su quand j’allais être installée dans les résidences universitaires, donc j’avais été obligée de toujours laisser mes affaires dans mes bagages, de les prendre au fur et à mesure seulement, et de les ranger une fois que j’avais fini. J’avais bien fait, parce que c’est seulement hier matin que j’avais su que ma chambre était prête et que j’allais déménager le lendemain.

Je suivis Charlie dans le couloir, celle-ci ayant eu l’amabilité de me montrer où les deux chambres restantes étaient. Nous allions avoir une troisième colocataire ? Je décidai de ne pas m’en faire tout de suite, je préférai choisir la plus grand chambre des deux. Pendant que nous faisions le tour, j’avais remarqué que Charlie avait pris la plus grande chambre. Cela ne m’affectait pas, parce qu’après tout, ce n’était qu’une chambre. De plus, celle que j’avais choisie restait quand même très grande. Si je ne m’y sentais pas à l’aise pour faire mes devoirs, je pourrais toujours occuper le salon.

- D’accord, dans ce cas je vais prendre celle-ci. Je vais aller chercher mes valises.

Sur ces mots, je me rendis à l’entrée où j’avais laissé mes deux valises et mon sac. Je les transportai jusqu’à la chambre. Je laissai le tout là, puisque j’étais occupée à discuter avec ma nouvelle colocataire. Je venais de lui demander s’il y avait longtemps qu’elle était ici. Charlie me répondit qu’elle en était à sa première année à l’université, mais qu’elle vivait depuis toujours dans cette ville. Comme je m’y en attendais, elle me retourna la question. Était-il bien ou non de lui révéler la véritable raison pourquoi j’étais ici ? Peut-être pas, je venais tout juste de faire sa connaissance. Je dis :

- Je suis arrivée il y a une semaine. J’entame ma seconde année en journalisme. J’ai grandi en Virginie, commencé mes études à Yale, et j’ai été transférée ici.

J’étais donc plus âgée d’un an que Charlie, techniquement. Par contre, ce que je venais de dire devait probablement susciter plein de questions. C’est pour cette raison que je changeai rapidement de sujet en disant :

- Hum, je me demandais, on va faire quoi de la troisième chambre ? Allons-nous avoir un autre coloc’ ?

J’appris que pendant que j’emmenais mes valises dans l’appartement, le directeur de l’université avait appelé pour savoir si j’étais bien arrivée. Cela ne me surprit pas en fait, mais j’aurais bien voulu prendre quelques instants de moins pour monter mes valises afin de pouvoir lui parler. Il faisait partie des seules personnes qui étaient au courant de la véritable raison de mon transfert, et j’étais persuadée que lui aussi s’en était mis plein les poches pour ne pas révéler ce que j’avais trouvé moi-même. Décidément, le doyen de Yale était prêt à tout pour ne pas finir sa vie en prison, là où il devrait probablement être si j’avais laissé paraître mon article.

- Ce n’est pas grave. Est-ce que tu as son numéro, j’aimerais bien le rappeler.

Ça devait probablement sembler bizarre que je parle ainsi du directeur de l’établissement, comme si je le connaissais depuis longtemps, mais c’était justement parce que ce secret nous liait que je n’avais pas le choix de lui donner des nouvelles. Évidemment, cela pouvait attendre quelques minutes, puisque j’avais les mains chargées avec mes sacs et bagages, et je voulais m’en débarrasser avant de faire quoi que ce soit. Je me rendis donc dans ma chambre, que je regardai plus attentivement. La chambre était spacieuse, je savais où j’allais installer mes affaires. Il y avait un lit, un placard, une commode et un bureau de travail. Évidemment, la peinture n’était pas géniale, mais c’était facile de régler cela. Il faudrait aussi que j’aille acheter une couette pour mon lit qui serait à mon goût, puisque pour le moment, c’était assez neutre, prêt à accueillir à peu près n’importe qui. Ne voulant pas laisser ma nouvelle colocataire en plan trop longtemps, je ne fis que déposer mes affaires et je revins vers Charlie, lui demandant si nous allions avoir une troisième colocataire. Elle me dit que pour le moment, il n’y avait personne dans la troisième chambre, mais que si nous étions trois filles, ça pourrait être génial. Je souris, et je répondis :

- Oui, ça pourrait être super ! Mais avoir un mec aussi ne me dérangerait pas…

Je me rendis compte seulement après l’avoir dit que je devais sembler assez bizarre. Un petit moment de silence passa, et je me rendis compte que je devrais peut-être m’expliquer, je dis :

- À Yale, mon colocataire était homosexuel. Et il était vraiment génial, il me manque…

Encore une fois, j’avais peut-être trop parlé. Ça devait être insultant pour Charlie de lui dire que mon ancien colocataire me manquait alors que nous venions de nous connaître. Mais je n’allais pas le cacher : Yale me manquait, mon ancien colocataire me manquait, mes parents me manquaient…